Roger, un muscadet!

Une réputation finalement peu flatteuse…

Le chat de Philippe Geluck
© Philippe Geluck

Qu’on le veuille ou non, cette célèbre interpellation de comptoir mise en lumière par le chat de Philippe Geluck, au demeurant fort sympathique, a considérablement nui à l’image d’un vin qui a trop longtemps peiné à s’en extirper.

Dès 1960, la comédie burlesque Zazie dans le métro de Louis Malle avait donné le ton : « Pour moi, ce sera un muscadet avec un ou deux morceaux de sucre ». Personne n’avait imaginé à l’époque à quel point cette réplique de l’adaptation du roman de Queneau rejoignait la pensée collective. L’appellation Muscadet voyait son sort provisoirement scellé, pour le plus grand bonheur de ses détracteurs et concurrents…

C’est précisément parce que le visage de la production du Pays Nantais a significativement évolué au cours de ces dernières années qu’il me semble justifié de poser un nouveau regard, « modernisé », sur un terroir qui mérite largement mieux que les phrases assassines dont il est trop souvent affublé. Le vignoble du Muscadet mérite qu’on se penche avec ouverture d’esprit sur son cas, ce qu’a largement confirmé le récent dossier de dégustation auquel j’ai participé.

etiquette muscadet

Et puisque les beaux jours se multiplient, annonciateurs de rapprochement des produits de l’océan, pourquoi ne pas (re)découvrir les multiples visages des quelque neuf mille hectares de la zone située au sud de Nantes, entre Loire et océan ? Saurons-nous déstabiliser les traditionnels clichés, par l’information dans un premier temps, la dégustation ensuite?

Là-bas, à proximité d’un littoral atlantique balayé par les vents et les embruns, tout au bout d’un fleuve qui prend sa source non loin de Montélimar, nous attend tranquillement un terroir viticole qui se conjugue désormais au pluriel. Le saviez-vous ? Sur ces terres d’une incroyable diversité géologique, les vignes donnent naissance à des crus qui ne se limitent plus aux typicités vives et tranchantes tant recherchées. Les vins conservent leur tonicité iodée mais ils portent mieux qu’auparavant les empreintes des sols qui leur donnent naissance. L’heure est à la nuance, à la découverte, aux expériences gustatives inattendues. L’heure est à la révision des jugements. Y êtes-vous prêts?

Évoquer le muscadet, j’en suis conscient, c’est aussi prendre le risque de n’intéresser qu’une minorité de lecteurs. C’est que le nom inspire davantage de sourires amusés voire narquois que de lueurs d’intérêt… Pas de souci, laissons les béotiens au triste sort que leur réservent leurs certitudes, j’emmène ceux qui y croient à la découverte de la production de près de 650 vignerons. Une production accessible à plusieurs égards, idéalement située pour tester les complicités à table avec les produits de la mer, mais pas seulement. Une production enfin, qui ne mettra pas en péril l’équilibre budgétaire des ménages, même pour acquérir ses plus beaux fleurons. En ces temps de crise, est-ce négligeable?

muscadetr de sèvre et maine
© Quitou

Alors bien sûr, parmi les soixante millions de bouteilles des différentes appellations du muscadet vendues annuellement en France et à l’étranger, il reste de nombreux flacons indignes, fluides, aqueux et sans âme… Ces vins qui ont peu vu le raisin entretiennent pour un temps encore les images tenaces du passé, pourtant devenues obsolètes. Rassurez-vous, la vague est passée. Nous allons parler des autres, ceux qui font courageusement face aux préjugés des consommateurs.

En route pour l’Atlantique, vous me suivez ?

Le melon de Bourgogne, ce cépage méconnu…

melon de bourgogne
© Passionvin

Rendons tout d’abord un hommage appuyé au seul cépage utilisé pour l’élaboration des vins blancs de la région : le melon de Bourgogne. C’est en 1709 que ce plant est venu depuis sa terre d’origine sauver un vignoble de Loire-Atlantique décimé par un hiver dévastateur. En Bourgogne, on ne voulait plus de lui… La pression croissante de l’implantation du chardonnay avait pour conséquence qu’il n’y était plus cultivé depuis plus de 200 ans. Qu’importe, sa nouvelle terre d’adoption serait le pays du Muscadet et ses sols granitiques, volcaniques ou argilo-siliceux. L’alliance était porteuse de promesses mais restons lucides, la période d’adaptation fut beaucoup plus longue que prévu.

Ce cépage de maturité précoce (ce qui est un atout compte tenu de sa fragilité vis-à-vis des attaques de pourriture grise) est peu sensible au gel. Conduit en taille longue mais à rendements raisonnables, il a prouvé sa capacité à donner naissance à des crus complexes et généreux. Il se sent bien à proximité de l’océan et nous commençons à mesurer les bienfaits de cette complicité.

Le terme « melon » provient de la forme arrondie de ses feuilles. Son autre dénomination locale est simplement muscadet. Certains affirment que ce terme pourrait faire référence à une pratique courante à l’époque d’enrichir le parfum des vins avec des épices douces et notamment de la noix de muscade. Les discussions autour des comptoirs nantais n’ont pas encore permis d’obtenir un consensus. On soupçonne les forces en présence d’entretenir le doute pour justifier le prolongement de joutes verbales sans lesquelles leur vie serait tellement plus triste. Et muscadet et tristesse, désolé mais ça ne rime décidément pas.

Nous évoquons donc aujourd’hui le plus grand vignoble mono cépage blanc d’Europe, avec plus de 11 000 hectares plantés, tous secteurs de Loire-Atlantique confondus.

Hiérarchie des vins au pays du muscadet

Les muscadets régionaux se déclinent en trois appellations : Sèvre-et-Maine, Côtes de Grandlieu et Coteaux de la Loire. La grande spécialité est la vinification « sur lies » (levures mortes). Ce processus impose de laisser les vins au contact de ces lies pendant tout l’hiver, en cuves ou en fûts, sans transfert ni soutirage. Les effets de cette pratique se traduisent en assouplissement du vin, élargissement de la gamme aromatique et meilleure protection contre l’oxydation. Le perlant caractéristique des crus est globalement préservé.

muscadet de sevre et maine sur lie
© Quitou

Les crus du Muscadet ont profondément modifié le visage du vignoble. C’est là que nous retrouvons des facettes inattendues dont la notoriété peine à dépasser les frontières locales. C’est l’analyse de la puissante diversité géologique de la zone qui a fait émerger l’idée, dégustations à l’appui, qu’il devenait légitime de souligner les spécificités des meilleurs terroirs.

gorges muscadetLes trois premiers crus communaux ont été reconnus en juillet 2011. Voici leur identité, encore peu connue des œnophiles : Clisson, Gorges et Le Pallet. De solides dossiers ont ensuite été rentrés à l’INAO, exposant d’irréfutables arguments géologiques, climatiques et organoleptiques pour d’autres communes.

Cette année a vu la reconnaissance de quatre nouveaux crus, passionnants à déguster, qui viennent compléter une gamme dont la qualité de production se trouve inévitablement tirée vers le haut. Il s’agit de Mouzillon-Tillières, Château Thébaud, Monnières-Saint-Fiacre et Goulaine.

Deux autres communes attendent encore leur tour et cela ne saurait tarder : La Haye-Fouassière et Vallet. La carte prend forme et le vignoble du pays nantais se voit aujourd’hui observé avec un autre regard, qui le prend enfin au sérieux. Il était temps car les vins sans histoire ne marquent pas les mémoires pour les bons motifs. Sombrer dans l’oubli est le funeste destin qui les attend inévitablement.

Carte des crus du muscadet
© Interloire

Issus de parcelles sélectionnées, élaborés selon un cahier des charges extrêmement rigoureux, avec des rendements limités à 45h/ha et des élevages sur lies de minimum 24 mois, ces crus combattent avec force l’incapacité supposée du muscadet d’affronter sereinement les ans.

Bien au contraire, c’est au fil du vieillissement qu’ils magnifieront leur dénominateur commun minéral, tout en livrant des expressions diversifiées dans chacun de ces terroirs communaux.

La faible reconnaissance de l’indubitable intérêt représenté par ces nouvelles appellations reste encore une énigme. Une partie de l’explication pourrait résider dans les stigmates laissés dans l’esprit du public par les productions indignes d’un passé pourtant révolu. Puis vient l’inévitable argument financier. Pour acquérir un muscadet de Sèvre-et-Maine, un billet de 5€ suffit. C’est parfois même de trop. Pour un cru, il faut en moyenne compter le double. Or ceux qui renâclent devant l’obstacle sont les mêmes consommateurs qui dépensent sans état d’âme bien plus qu’un billet rouge pour l’achat de crus blancs alsaciens ou rhodaniens par exemple. Allez comprendre… Dix euros, pour un muscadet, mais vous rêvez mon cher, comment le prendre au sérieux à ce prix-là…?

Disparition du complexe d’infériorité

Pourtant, dans les verres de Clisson, Gorges et les autres, on retrouve facilement une vraie légitimité à évoquer le terme de grand vin blanc sec. Certains n’hésitent pas à évoquer une sérieuse concurrence avec de beaux flacons ligériens voire bourguignons. Je partage leur avis sans aucune hésitation.

muscadet monnieres saint fiacre - domaine menard-gaborit
© Quitou

Revenons au vin et à sa terre de naissance. Les empreintes de sols sont très variées mais nous pouvons retenir que sur les granites (Clisson) et les argiles à quartz (Gorges), le caractère rectiligne des vins se voit souligné, ce qui n’empêche pas les vignerons de rechercher de fortes maturités de raisin et de favoriser les élevages longs. Sur le gneiss (Le Pallet), l’enveloppement est plus présent et les textures grasses ne sont pas rares. Pour bénéficier pleinement de l’effet des lies, on les remet régulièrement en suspension dans le vin. Cette action, appelée bâtonnage, accentue fortement la personnalité aromatique des différents crus. D’une manière générale, les bouches se révèlent beaucoup plus riches et opulentes que celles des muscadets génériques. Mes impressions de dégustation ont révélé que pour les amateurs de tension et tonicité, c’est à Gorges ou Mouzillon Tillères qu’il faut se rendre.

Et la gamme aromatique?

muscadet minéral éclat de roche2Dans tous les cas, les notes iodées et fumées caractéristiques sont récurrentes, assorties de fruits secs (amande verte) et de coing. Jeunes, ces vins associeront également les senteurs florales, végétales (menthol, citronnelle) et fruitées (agrumes et fruits blancs mûrs). En vieillissant, le miel, la cire et les senteurs musquées ne sont pas rares.

L’intensité de la minéralité se fait aussi parfois quelque peu attendre. Ceux qui l’apprécient gagneront à n’ouvrir leurs flacons qu’après 4 à 5 ans, ce qui n’est pas nécessaire lorsqu’on recherche les originales touches salines souvent présentes en finale dès la mise en bouteilles.

Vous servirez ces crus frais mais non frappés (13-14°C). Ils valent bien mieux que le seau rempli de glaçons, si couramment utilisé dans certains établissements pour voiler les faiblesses ou cacher les défauts.

Les complices du muscadet dans l’assiette

Sans titre

 

 

 

 

 

 

 

 

A table, encore une fois, il semble judicieux de dépasser le cadre des grands classiques. Si le plateau de fruits de mer ou les moules au vin blanc, juste ouvertes, restent incontournables pour les vins les plus vifs, la vinosité des crus du muscadet justifie largement un élargissement des choix.

Les poissons fumés (saumon, truite, anguille) seront de parfaits complices des crus minéraux. Pour ceux qui privilégient la douceur de texture, on recherchera des poissons nobles de la Loire (brochet, sandre) cuisinés au beurre blanc ou en émulsion, des noix de Saint-Jacques (aux agrumes par exemple) ou des langoustines. Personnellement, un Monnières Saint-Fiacre ou un Goulaine avec le foie gras, j’adore!

Enfin, au rayon des fromages, vous gagnerez à éviter les plus corsés. En revanche, l’alliance avec les chèvres ou brebis est parfaite. Pour l’avoir testée, la comparaison de l’harmonie entre un crottin de chavignol et un sancerre ou un cru du muscadet peut réserver des surprises dont notre cru atlantique a de grandes chances de sortir grandi…

Aujourd’hui, les vignerons atlantiques de Clisson, Gorges et les autres affichent clairement leurs ambitions: hisser les vins haut de gamme de leur production à un niveau de notoriété équivalent à celui des autres grandes régions. Le caractère identitaire de ces crus se voit souligné par la volonté des acteurs du terrain de s’unir pour mieux faire connaître la valeur singulière de chacune des communes reconnues. Ne cherchons pas plus loin l’explication des étiquettes identiques à Clisson, Gorges ou même Château Thébaud. Dans quelle autre appellation, les producteurs acceptent-ils de se placer autant en retrait?

clisson - étiquettes identiques
© Quitou – Étiquettes identiques pour des domaines différents d’un même cru. Qui dit mieux en terme d’image de cohésion?

Dans ces communes, l’homme, conscient du trésor géologique que lui a offert la nature, s’efface avec humilité devant la force de son terroir. Certains évoqueront probablement une stratégie de communication bien pensée? Peut-être, mais ceci n’enlève rien au respect qu’inspire cette démarche.

breizh muscadet
© Quitou

Roger, non pas un mais deux muscadets ! Le premier pour la soif, avec les amis, rafraîchira et fouettera notre palais. Nous ferons claquer la langue de plaisir. Nous apprécierons son perlant et il nous communiquera son énergie, qui sera traduite par le chambard partagé que nous inspirera la convivialité du moment. Pas certain qu’un verre suffira, même si la modération s’impose afin de mieux encore apprécier la suite…

La première gorgée du second balaiera sans effort les éventuels préjugés encore présents. Plus concentré, voire recueilli si le bougre est à la hauteur de mes attentes, je me laisserai attraper par la subtile alliance de ses vivacités d’agrumes et douceurs miellées, la délicieuse fermeté minérale et la typicité saline de sa finale. J’imaginerai alors des alliances à table et les testerai, de la même manière que pour les autres « grands » des prestigieuses régions viticoles. Je veillerai aussi à en encaver suffisamment pour mesurer l’impact du temps sur son expression aromatique.

Le cercle des grands crus ligériens s’est aujourd’hui élargi jusqu’aux portes de l’océan. Aux côtés des muscadets génériques et régionaux, vivifiants et délicieusement friands, se placent maintenant les crus communaux, aux ambitions nettement plus élevées.

L’objectif de ce billet n’est pas de vous en convaincre mais de titiller votre curiosité afin de vérifier ce qui est ici avancé. Je suis confiant. Tenez-moi au courant de vos découvertes!

Q.

 


5 réponses à “Roger, un muscadet!”

  1. Chouette billet, bien écris.
    Je vous fais part d’un Muscadet nord vendéen ettonnant. Le château de la Preuille a St hilaire de loulay. Doré, mineral, je suis pas oenologue mais il est tres bon, au point de m’avoir donner gout au Muscadet ( tout comme votre article).

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