Un cépage à la loupe: le gewurztraminer – Des roses et des épices

Un cépage à la loupe: le gewurztraminer

Pour les novices en dégustation, le gewurztraminer est un véritable diffuseur de confiance. En général, il suffit de l’avoir goûté une fois pour ne plus l’oublier… C’est à la rencontre de ce fort en gueule souvent mal compris que ce billet nous emmène… Cap sur les coteaux ensoleillés alsaciens, protégés des intempéries par le massif des Vosges, et découvrons ensemble un cépage à très forte personnalité…

Grâce à son inimitable typicité, c’est régulièrement le premier cépage reconnu à l’aveugle. Ses saveurs très parfumées, teintées de poivre et de musc, parfois de litchi marquent de leur empreinte la mémoire olfactive de tous ceux qui l’approchent. Nous sommes en présence d’un va-t-en-guerre, qui ne craint presque rien et divise facilement les dégustateurs.

Plus encore que le riesling, le gewurztraminer caractérise l’Alsace. Plus du tiers des superficies mondiales complantées de ce cépage (+/- 8500 ha) se trouvent dans cette région de France. A l’exception de quelques parcelles en Moselle, dans le prolongement des vignobles luxembourgeois, il est totalement absent des autres terroirs français. Ailleurs, on le retrouve en Allemagne, en Italie et en Autriche de même que dans plusieurs pays de l’Est, ce qui s’explique par la géographie, mais aussi aux Etats-Unis et au Canada, en Afrique du Sud et en Amérique du Sud, dans des proportions toutefois assez marginales.

En Alsace (16 000 hectares), il occupe la 3^ème place de l’encépagement, avec 19.4% de la surface plantée, derrière le riesling (22%) et le pinot blanc (21.2%) qui se disputent le leadership. Faisant partie du cercle des cépages dits « nobles » dans cette région, il peut être cultivé dans les 51 secteurs classés en « Grand Cru ». De même, c’est ce statut qui lui permet d’être vinifié en « vendange tardive » ou en « sélection de grains nobles ».

C’est une variété opulente et charmeuse, dotée d’arômes voluptueux et épicés en harmonie avec son nom (Gewürz signifie « épicé» en allemand ou dialecte alsacien). Traminer indique que cette variété est originaire de Tramin, petite ville de langue allemande du Tyrol italien.

Peu de vins comme celui-ci suscitent à la fois autant d’enthousiasme ou de rejet. Il faut être doté d’une certaine culture gustative pour apprécier ce cru très fruité, corsé, aux parfums presque violents, plus savoureux que le riesling mais incontestablement moins fin. Il est capable de produire la gamme complète des vins blancs, du plus sec au plus liquoreux.

En Alsace, la dénomination des vins est identique à celle du cépage. C’est une singularité de cette région. On boit du morgon issu de gamay, du pommard issu de pinot noir ou du meursault issu de chardonnay mais du gewurztraminer issu de gewurztraminer… Allez comprendre…Cette situation induit de façon récurrente des confusions. Parmi les plus classiques, l’association erronée d’un cépage alsacien à un style de vin. Il suffit parfois à ceux qui ont goûté deux ou trois gewurztraminer dotés de sucres résiduels, donc des vins demi-secs, moelleux ou même liquoreux, d’associer systématiquement ce nom de cépage à ce style vin.

Pourtant, nombreux sont ceux qui considèrent que les meilleurs Gewurz. sont ceux qui ont transformé tous leurs sucres en alcool : de grands vins secs.

Si vous vous promenez dans les vignes, surtout au moment où le raisin est déjà sur grappe et que la véraison (changement de couleur) est achevée, il ne vous sera pas très difficile de le reconnaître. Les grappes sont assez petites, plutôt lâches, mais surtout, votre attention sera attirée par la couleur des baies ovoïdes : rose parfois un peu fané à rouge clair. Jadis, on l’appelait « gentil rose » en Alsace. Moins violet que le pinot gris et moins foncé que le pinot noir, il sera donc facile de l’identifier puisque tous les autres cépages alsaciens sont blancs. Voici donc une nouvelle variété à peau colorée qui donne un jus blanc !

En terme de viticulture, le gewurztraminer provient d’une sélection particulièrement épicée, réalisée à la fin du siècle dernier, du traminer rose présent en Alsace depuis le XVIème siècle, âge d’or de la viticulture alsacienne. On notera d’ailleurs que le klevener de Heiligenstein, cultivé sur une petite surface dans la région de Heiligenstein, près de Barr, représente une forme de ce traminer, appelée aussi savagnin rose. Donc, son aïeul n’est rien d’autre que le célèbre savagnin du Jura, connu notamment pour l’illustre Vin Jaune auquel il donne naissance.

Ce cépage au débourrement précoce (ce qui le rend sensible à la maturité trop tôt atteinte) est moyennement productif et souvent sujet à la coulure. D’une année à l’autre, il présente donc de grandes disparités de rendement.

Lorsqu’on cherche à effectuer une « Vendange Tardive » ou une « Sélection de Grains Nobles » (rendue possible par l’épaisseur de la peau du gewurz.), il est prudent de protéger les vignes par un filet, tant les baies gorgées de sucre sont prisées par les oiseaux … et les promeneurs.

 

Le climat alsacien lui convient-il ?

Le vignoble d’Alsace, adossé au versant Est des Vosges, profite d’un ensoleillement prolongé tout au long de la journée. Les expositions Sud et Sud-Est, qui sont majoritaires, les chaudes températures d’été, une pluviométrie parmi les plus basses de France (450 à 500 mm d’eau par an) ainsi qu’une arrière-saison exceptionnelle, favorisent la lente maturation des cépages. Le gewurztraminer en profite pleinement et les conditions météorologiques de l’automne lui permettent d’attendre sans risques majeurs la surmaturation ou le phénomène de Botrytis.

Quels sols affectionne-t-il ?

Toutes les variétés de sols présentes en Alsace ne lui conviennent pas.

Lorsqu’on parcourt la route des Grands Crus alsaciens du nord au sud, on constate que le gewurztraminer joue à cache-cache avec le riesling. Dans de nombreux Grands Crus, l’un ou l’autre domine nettement. Toutefois, il existe des terroirs où les deux cohabitent harmonieusement. D’une manière générale, ce sont les marnes calcaires qui conviennent le mieux au gewurztraminer. C’est certainement le cas dans le Bas-Rhin, de Marlenheim à Molsheim.

Plus au sud, il retrouvera un terrain de prédilection sur les sols sableux de même que sur les terrains marno-calcaires caillouteux des environs de Bergheim (Altenberg).Toutefois, c’est essentiellement à partir de Zellenberg (Froehn) et Riquewihr (Sporen) qu’il donne toute sa mesure. On y retrouve des marnes schisteuses ou des sols simplement marneux. Ensuite, on le retrouve à Beblenheim (Sonnenglanz), Bennwihr (Marckrain) et Sigolsheim (Mambourg).

Ce n’est qu’au sud de Colmar qu’il domine à nouveau son prestigieux rival. Jusqu’à Guebwiller, il occupe fréquemment une position privilégiée, notamment à Gueberschwihr (Goldert), Pfaffenheim (Steinert) ou à Westhalten et Rouffach (Zinnkoepflé).

D’une manière générale, le gewurztraminer affectionne les sols qui se réchauffent rapidement au printemps et qui lui offrent une alimentation en eau modérée et régulière tout au long de l’année. Il se complaît donc sur les sols marneux profonds, tandis qu’il déteste les sols peu profonds ou trop caillouteux.

Quel est son style en dégustation ?

Indépendamment de sa couleur dorée dès le plus jeune âge, le vin issu de gewurztraminer est surtout caractérisé par son extrême richesse aromatique, association de fruits (coing, pamplemousse), souvent exotiques (litchi, mangue, ananas), d’épices (poivre noir fraîchement moulu, cannelle, girofle, pain d’épice) et de fleurs musquées voire entêtantes (pétale de rose, acacia, géranium).

Ces notes évoluent vers le miel, l’abricot et les fruits secs dans les vins liquoreux.

Dans les alluvions, en sortie de vallée, ce cépage produit un vin fruité, plein de légèreté, à consommer jeune. Sur les sols granitiques, calcaires ou gréseux, il donne naissance à des vins corsés mais élégants, qui demandent un peu plus de temps pour se bonifier.

De manière générale, il présente une faible acidité, alliée à une forte teneur en alcool et en glycérol, ce qui lui confère une impression de douceur, qui peut évoluer vers de la lourdeur si le taux de sucre résiduel est trop élevé. On évoque alors une sorte de « douceur huileuse ». C’est pourquoi on considère que les meilleurs gewurztraminer sont ceux qui ont conservé la touche de fraîcheur indispensable à leur équilibre.

Les mentions « Vendanges Tardives » ou « Sélection de Grains Nobles » peuvent compléter sur l’étiquette les appellations « Alsace » ou « Alsace Grand Cru ». Les V.T. proviennent de raisins récoltés en surmaturité, généralement plusieurs semaines après les vendanges officielles.

A l’identité du cépage et à son caractère aromatique s’ajoute alors la puissance due au phénomène de concentration. Les S.G.N. sont obtenues par tries successives des grains dont l’identité au cépage se fait ici plus discrète au profit d’expressions liées à la concentration et au botrytis cinerea. L’intensité des arômes, une charpente très puissante, un caractère moelleux et une longue persistance en font de grands vins liquoreux. Il est toutefois souhaitable de ne pas sombrer dans une recherche démesurée de sucre, le cépage ayant déjà une tendance naturelle à offrir des vins lourds, voire sirupeux.

Comment l’accompagner à table ?

Le gewurztraminer concourt souvent à des harmonies insoupçonnées et étonnantes, des recettes exotiques aux volailles en passant par les coquillages, le foie gras, le gibier, sans oublier les fromages…

Richement aromatique, il est avant tout le vin des fromages à pâte molle ou croûte lavée, au goût corsé tels que les Munster, Maroilles, Livarot, Pont L’Evêque ou les pâtes persillées (Feuilleté au Roquefort, Fourme d’Ambert, …). Ils s’enrichissent naturellement et le Gewurztraminer leur apporte sa structure charpentée et ses notes épicées. Son explosion aromatique épouse également les accents parfumés des cuisines asiatique, marocaine et indienne (curry, safran, coriandre, gingembre).

Dans un autre registre, ce grand blanc est un fin complice des sauces homardines qui accompagnent souvent les soles ou les quenelles de brochet.

Enfin, il est aussi le vin de tous les desserts peu sucrés. Le Soufflé au kirsch, la Tarte au fromage blanc, la Charlotte aux fruits rouges, le traditionnel Kugelhopf ou la Pêche au sabayon de gewurztraminer représentent de magnifiques harmonies.

Au-delà de ces nombreuses alliances, les oenophiles avertis considèrent que la plus belle place du Gewurztraminer est certainement et tout simplement à l’apéritif.

Quel est son potentiel de conservation ?

• 3 à 10 ans pour les génériques, selon la qualité du millésime et le taux d’acidité du vin.

• Jusqu’à 15 ans pour les Grands Crus.

• Au-delà de 20 ans pour les V.T. et les S.G.N.

Ces délais moyens s’appliquent à des vins archétypes et il faut veiller à prendre en compte les caractéristiques de chaque millésime pour évaluer correctement le potentiel d’évolution.

Le défi qui se pose aux oenophiles désireux d’approcher ce cépage à forte personnalité est donc d’en explorer tous les visages, du plus sec au plus liquoreux. Dans le cas du gewurztraminer, la recherche des alliances mets-vins peut favoriser cette quête sensorielle. Il est des tâches moins attractives, vous en conviendrez…

Q.

Pour en savoir plus sur le gewurztraminer, c’est par ici…