Vagabondages ligériens entre amis (2) – Lamé Delisle Boucard

Et oui... Quitou Wine Travel - Touraine - Juin 2015
Et oui…

En route

Le ronronnement soporifique du car peine à couvrir le bruit familier des bouchons expulsés. Nous subissons un ciel maintenant assombri, projetant ses premières gouttes cinglantes sur les fenêtres. La route sera pluvieuse, c’est certain. L’humidité a également rejoint les verres, qui placent en cette aube enjouée le café au pâle rang des figurants.

Chacun s’extrait petit à petit des brumes du sommeil, les verres se tendent et parfois se retendent, beaucoup ayant réalisé que les précautions de principe ne servent à rien. Pas davantage que de chercher à faire bonne figure. C’est au pays de Rabelais et de la Dive bouteille que nous nous rendons, pas à une sinistre conférence de l’ANPAA.

Les bulles de Vincent Raimbault sont accueillies comme il se doit. Elles irradient un vouvray pétillant aux nuances vieil or, de grande vinosité. Un vin habillé de bulles et non une simple effervescence acidulée. Sa complicité avec les rillettes semble fonctionner mais il faut se rendre à l’évidence, peu s’y risquent.

Premiers babillements murmurés, éclats de rire, on s’anime tout doucement dans les rangs. Le cruise control de nos échanges est enclenché. Je passe chez chacun et nous nous racontons. Pour certains, il a fallu attendre bien longtemps pour que nous nous retrouvions. Presque tous les protagonistes de ce week-end se rendent coupables de récidive en participant à cette expédition. On ne la leur fait pas, ils savent que le programme sera chargé et qu’il vaut mieux entrainer l’endurance que le passage en force. Le temps est venu pour le repos, dans l’attente des joutes viniques qui se profilent.

Quand les bulles voient rouge

La Croix de Galerne - Perle rouge - Méthode traditionnelle - Cabernet franc
Domaine La Croix de Galerne – Perle rouge – Méthode traditionnelle

Quoi déjà ? Dans l’œil malicieux du coupable qui se reconnaîtra se lisent les lettres du mot apéro. La pluie est battante cette fois. Nos chauffeurs ont du mérite. Pour avoir partagé nos précédents exploits, ils savent qu’il n’y a rien à craindre en terme de débordement. C’est donc d’un œil amusé qu’ils voient sortir de la glacière les victimes suivantes. Une fraction de seconde plus tard, le chauffeur en repos m’attrape une bouteille des mains et commence le service…

Cette fois, nous rendons hommage à la Loire d’une autre manière, plus inédite. Des bulles grenat, sous forme de « Perle Rouge », du domaine de La Croix de Galerne dans le Saumurois. C’est notre premier rapprochement du week-end avec le seigneur local d’origine pourtant pyrénéenne, le cabernet franc, pour l’occasion associé au grolleau dans une méthode traditionnelle gorgée de fruit, aux doux amers en finale, sur la cerise noire et le cacao. Certains évoquent même le visage de « tanins effervescents »… Servie à 6-7°C, cette bulle se montre irrésistible. Du reste, presque personne dans la bande ne fait preuve de frilosité. On goûte au moins par curiosité et si on regoûte, c’est juste pour vérifier, par conscience professionnelle.

C’est le moment de préciser le programme à la troupe. Leur parler d’un pique-nique sur les bords du fleuve au moment où le déluge s’abat sur le car s’apparente à un exercice périlleux. Les sourires goguenards apparaissent. Reprenons une mousse rouge pour évacuer les ondes négatives. Ça marche pour un temps.

Philippe Lamé du domaine Lamé Delisle Boucard
Philippe Lamé s’explique – © Quitou.com

Un mot ensuite pour présenter notre première rencontre vigneronne. Philippe Lamé du domaine Lamé Delisle Boucard m’a été présenté par un ami cher, Gérard Garroy. C’est au cours d’une précédente incursion en Touraine avec une petite troupe parenthésienne que je l’ai rencontré pour la première fois. Une visite gravée dans ma mémoire, qui ne pouvait qu’appeler un prolongement.

Comment vous dire… Sa gouaille, son franc-parler, sa générosité et son amour de la région ont rendu la rencontre si facile. Il faut aussi parler des vins, cuvées dont au grand dam de son épouse, il se plaît malicieusement à minimiser les qualités, son humilité prenant souvent le dessus sur presque tout, sauf sur sa passion pour son métier et les rencontres qu’il permet. Je sais que notre groupe est attendu avec cet accueil convivial tourangeau qui n’est plus à démontrer et peine à dissimuler mon impatience à retrouver les vignes d’Ingrandes-de-Touraine.

La Loire, enfin…

Nous approchons du fleuve, le ciel bas semblant nous ouvrir progressivement ses nuages en guise d’accueil. A l’arrêt du car, quelques gouttes tentent encore laborieusement de nous inquiéter, en vain. Sur la berge de Langeais, les premières victuailles sont de sortie. Franck est venu nous rejoindre là, refondu dans le groupe avec douceur et un plaisir manifestement partagé. L’ Alsace avait laissé à plusieurs un petit goût de trop peu…

La Loire à Langeais - Quitou Wine Travel
La Loire à Langeais – © Quitou.com

Quand la vallée s’éclaircit, le tableau fluvial change complètement de lumière, de couleurs. L’eau, le sable, les îles, les troncs partiellement immergés… Tout se métamorphose. La vrille du sommelier chauffe, les bonnes résolutions du début ne résistant pas au plaisir provoqué par les vins d’accolades, qui claquent les langues dans le plaisir du fruit et de la simplicité.

Vingt minutes à peine nous séparent d’Ingrandes-de-Touraine, attachante petite commune où œuvre la famille de Philippe Lamé, mais aussi un couple de Belges expatriés extrêmement attachant que je conseille à chacun de rencontrer dans leur restaurant… « Vincent, Cuisinier de Campagne ». Pas assez de places malheureusement, pour accueillir notre grand groupe mais vraiment, n’hésitez pas, c’est une adresse incontournable et chaleureuse, où n’entrent que de beaux produits, et où on vous dit qu’on vous aime par le sourire et l’assiette.

Lamé Delisle Boucard, première visite vigneronne

Chai du domaine Lamé Delisle Boucard à Ingrandes-de-Touraine
Chai du domaine Lamé Delisle Boucard à Ingrandes-de-Touraine – © Quitou.com

13h, arrivée au Domaine des Chesnaies, qui s’étend sur 44 hectares, avec un âge moyen de vignes de 35 ans. Ce n’est pas rien. L’appellation Bourgueil et son flamboyant cabernet franc y sont inévitablement mis à l’honneur mais on y produit aussi un vin effervescent rosé de Loire, raison de la présence d’un peu de cabernet sauvignon (15%) sur la propriété. Nous plongeons au cœur d’une affaire de famille. Une équipe complète pour tout dire. Stéphanie, sœur de Philippe, est œnologue. Patricia, l’épouse, prend en charge le travail administratif et comptable. Eric, mari de Stéphanie, est également actif au domaine.

Philippe Lamé
© Quitou.com

Dans le grand chai manucuré, dès les premiers mots prononcés, un large sourire éclaircit rapidement le visage de Philippe. Il raconte, s’agite, se fend de quelques anecdotes, montre et démontre, met en valeur le travail d’autres vignerons, explique le cabernet franc, plonge dans le passé, refait l’histoire géologique de sa région, y associe les vins en évoquant graviers et argilo-calcaires, sort ses panneaux didactiques après s’être assuré que ça n’ennuyait personne, présente le laboratoire qui est aussi le bureau de sa sœur, expose les risques qu’il accepte de prendre et ceux qu’il n’ose pas encourir.

Il vit et raconte sa région et son chai avant de faire déguster ses crus. Le groupe est sensible à cette approche et du coup, l’impatience grandit dans les rangs. Je connais mes ouailles…

Pourtant, avant de saisir le verre, une plongée dans la cave historique du domaine s’impose. Merveilleux endroit, dont les murs pourraient certainement parler des jours entiers pour raconter ce qui s’y est partagé au fil du temps…

Cave de vieillissement du domaine Lamé Delisle Boucard
Cave du domaine Lamé Delisle Boucard – © Quitou.com

Parce qu’il faut dire à ceux qui ne l’auraient pas encore compris l’extrême générosité de cette famille et l’envie de partage, bien dissociée de l’activité de vente. C’est d’ailleurs là qu’à l’automne 2014, j’avais participé avec quelques amis précieux à une mémorable dégustation avec la famille, remontant progressivement le temps pour finir par l’un ou l’autre flacon qui avait été signé par la génération précédente. A ce moment, Philippe s’était naturellement effacé pour laisser son père reprendre la conduite de la dégustation. Et c’est en murmurant à demi-mots que celui-ci s’était laissé faire…

Dans cette caverne garnie de traces familiales du passé, les bouteilles sont alignées, reposant pour certaines depuis plus d’un siècle, dans l’atmosphère humide et fraîche dont les entrailles de Touraine ont le secret. Parmi elles, des flacons aux lignes déformées par la mousse accumulée au cours des décennies. Les plus anciens remontent à 1893…

Vieux millésimes au domaine Lamé Delisle Boucard
Vieux millésimes au domaine Lamé Delisle Boucard © Quitou.com
Dégustation vieux millésimes au domaine Lamé Delisle Boucard
De 1976 à 1949… Mémorable moment en 2014 © Quitou.com

Dégustation

Nous remontons en salle de dégustation. Une des spécialités de la maison, permise par l’étendue du vignoble, est la mise en vente sur plusieurs millésimes.

Dégustation au domaine Lamé Delisle Boucard
Le moment est venu…

Nous voyagerons de 2014 pour le plus jeune Bourgueil, tout en pulpe, issu de graviers et vinifié à basse température pour magnifier son fruit, à 2005 pour un Vieilles Vignes splendide, encore bien structuré, dont l’ossature et la trame ont totalement respecté l’expression du fruit noir. De l’allonge, de l’élégance et ce sentiment bien ancré que ce vin est loin d’avoir dit son dernier mot…

En souvenir aussi, un merveilleux Vieilles Vignes 2009, dont la bouche démonstrative a révélé un caractère ample, stylé et long, tout en maturité. Un vin hédoniste, étalant tout son panache et sa profondeur dans une finale ambitieuse. Au total, huit cuvées seront dégustées, Philippe ne résistant pas à sortir également un vieux millésime, que je n’ai pas noté mais qui je m’en souviens, avait montré un corps quelque peu aminci, non décharné toutefois.

Le Mont Sigou

Les habitudes de la troupe en terme d’achats nous sont connues. Quand la qualité et l’authenticité sont là, rien n’arrête nos sbires. J’ai encore en mémoire la tête ébahie des chauffeurs lors du premier voyage, lorsqu’ils ont vu le clark chargé de plus de 400 bouteilles sortir du chai de Christophe Camu à Chablis. Quand s’y ajoutent des prix raisonnables, le raz-de-marée est à craindre. La sanction tombe vite et chacun l’a compris, il n’y a pas que nous qui trinquerons; les amortisseurs participeront à la fête. Une balade dans les vignes s’impose, le temps de permettre la préparation des commandes.

© Quitou.com
© Quitou.com

Nous irons donc au Mont Sigou tout proche, là où se trouvent la table d’orientation dominant le vignoble de Bourgueil mais aussi le fameux tonneau pique-nique dont le domaine est si fier.

Nous nous sentons bien là, avec Philippe, et ce sera votre cas aussi, si vous passez par chez lui. Mais l’horaire est serré, il faut reprendre la route. Les cartes de crédit plutôt brûlantes et les soutes déjà bien remplies, nous réintégrons le wine-car et quittons ce premier domaine si attachant pour nous rendre à Chinon, où nous établirons notre camp de base du week-end, dans des circonstances plutôt inattendues.

Ou quand on passe de boire du rouge à voir rouge en quelques instants seulement…

Q.

 

Pour en savoir plus sur le domaine des Chesnaies – Lamé Delisle Boucard, c’est par ici.


Une réponse à “Vagabondages ligériens entre amis (2) – Lamé Delisle Boucard”

  1. Merveilleux témoignage d’une famille cher à mon cœur depuis maintenant plus de trente ans !
    Merci JCC d’avoir réussi avec tes lignes, à exprimer mon attachement à cette famille en Or. Vive la Loire, vive Bourgueil, Vive Lamé-Delisle-Boucard ❤️

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